Les femmes, les grandes oubliées des héritages
Si les inégalités de patrimoine entre les hommes et les femmes font l'objet d'une attention croissante - et à juste titre -, une réalité demeure tenace : les femmes héritent en moyenne moins que les hommes. On a cherché à comprendre pourquoi.
Ma fille, tu hériteras moins que ton frère
Les raisons de ces disparités sont multiples et enracinées : inégalités salariales, manque d'accompagnement pour les conseils financiers personnels et disparités dans les héritages. Oui, même lorsqu'elles héritent, les femmes sont désavantagées, percevant en moyenne 20 % de moins que les hommes, comme le révèle une étude d'Immonext.
Pourquoi un tel écart ? Même si hommes et femmes ont les mêmes droits, une étude de l'Observatoire des inégalités montre que nos homologues masculins touchent en moyenne 2,2 fois plus de donations anticipées que les femmes.
D’ailleurs, ce sont principalement les hommes qui sont désignés comme héritiers universels (58 % d’hommes contre 42 % de femmes selon les notaires de France), c’est-à-dire qu’ils reçoivent l’ensemble du patrimoine du défunt. Les femmes, quant à elles, sont 52 % à être héritières en usufruit selon les données de l’INSEE. Ce qui veut dire qu’elles peuvent utiliser les biens du défunt, mais elles ne peuvent pas les vendre… ambiance.
Au-delà du caractère inégalitaire de la situation, recevoir de l’argent n’est pas aussi avantageux que d’hériter d’une entreprise familiale. Sybille Gollac souligne : "Recevoir des biens plutôt que de l’argent est avantageux, car les parts en nature ont souvent plus de valeur que celles en argent.” En effet, une entreprise ou un négoce crée de la valeur au fil du temps, tandis qu’une somme d’argent reste fixe et perd même de la valeur avec l’inflation.
Une injustice tacitement acceptée
Le problème va plus loin, car les héritières, même lésées, ne dénoncent pas cette injustice. Céline Bessière explique dans un entretien avec Dalloz actualité : “Les héritières sont souvent d’accord sur le fait que certains biens doivent rester dans la famille et que leur frère est le mieux placé pour les conserver. Mais elles voient bien que leur part a été sous-évaluée.” Elles adoptent une position fataliste face à des enjeux qui nuisent à leur propre patrimoine.
La sociologue ajoute que les femmes “acceptent l’idée que les hommes sont porteurs d’un rôle spécifique et que leur réussite est primordiale, mais cela ne va pas sans douleur. Les femmes font tout un travail pour « ne pas se fâcher », et le souci de transmission fait qu’elles acceptent ces consensus. Et les notaires ne le remettent pas en cause.”
En somme, cette acceptation passive et le manque de remise en question par les notaires perpétuent les inégalités patrimoniales entre hommes et femmes. Mais d’où cela vient-il ?
La faute aux normes et aux structures sociales…
Si ce n’est pas sur le droit que l’on peut rejeter la faute, c’est surtout une question sociale.
Les inégalités d'héritage sont un phénomène complexe qui s'inscrit dans une dynamique sociale plus large, où les femmes sont confrontées à des discriminations dans de nombreux domaines de la vie.
Malgré ces avancées, des inégalités subsistaient. Ce n'est qu'en 1938 que les femmes mariées ont obtenu la capacité juridique de gérer leurs biens propres et de conclure des contrats sans l'autorisation de leur mari. Puis, en 1975, l'égalité dans la gestion des biens de la communauté conjugale a été établie, suivie, dix ans plus tard, par un système de succession plus équitable entre époux.
Les sociologues Cécile Bessière et Sybille Gollac soulignent que « L’inégalité patrimoniale entre femmes et hommes ne naît pas à Wall Street mais dans les replis quotidiens de la vie familiale. Elle émerge dans le silence des rôles traditionnels attribués aux hommes et aux femmes en tant que conjoints, parents, fils, filles, frères ou sœurs. »
En plus de recevoir moins d'héritage, les femmes éprouvent souvent un sentiment de méconnaissance sur le sujet. Une enquête réalisée par l'institut Odoxa pour Boursorama Banque en 2020 révèle que 58 % des femmes estiment ne pas maîtriser suffisamment les questions d'héritage et de succession, contre 47 % des hommes. Et ça, ça impacte la situation économique des femmes.
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… qui influencent les trajectoires socio-économiques des femmes
Au-delà d'être une simple inégalité parmi d'autres, il est crucial de comprendre que le fait que les femmes héritent moins creuse l'écart de leur patrimoine par rapport aux hommes. Sur le sujet, elles sont d’ailleurs moins sensibilisées car elles en maîtrisent moins les subtilités. Selon le baromètre 2023 de l'éducation financière des Français de la Banque de France, 48 % des femmes rencontrent des difficultés à comprendre les informations financières, contre 36 % des hommes.
Pour assimiler ces informations, il est crucial de pouvoir apprendre et se former à l'éducation financière. Mais là aussi, il y a un manquement. Le rapport 2021 du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes sur les inégalités économiques souligne que les femmes sont moins informées que les hommes en matière d'épargne et d'investissement.
Ce déficit de connaissances peut entraîner un désintérêt pour ces questions. Dans une interview accordée au journal Les Echos, Carine Doron, directrice du pôle Family Office chez Rothschild & Co Gestion Privée, explique que "les femmes ont tendance à moins se soucier de leur succession que les hommes". Pour contrer cette tendance, il est crucial qu'elles bénéficient d'un accompagnement adéquat pour apprendre à gérer leur patrimoine. Pourtant, selon une étude du Cercle des notaires de France de 2021, seulement 31 % des femmes ont recours à un notaire pour la gestion de leur patrimoine, contre 43 % des hommes.
Il est donc crucial que les héritages soient distribués équitablement. En effet, les femmes héritières connaissent des avantages directs : une étude du Centre d'études des revenus et des coûts (Ceredec) de 2018 révèle qu'elles affichent un niveau de vie supérieur de 15 % par rapport à celles qui n'ont pas bénéficié d'un tel héritage. Ça change la donne.
À la rédaction, nous croyons fermement que le manque de culture financière n'est pas une fatalité. C'est pourquoi nous avons sollicité Uma KÜHNI, gestionnaire de patrimoine et fondatrice d’Agilyris, un cabinet spécialisé dans la gestion patrimoniale des femmes, pour partager ses conseils avisés.
#1 Développer sa confiance en soi
Cela peut paraître anodin et pourtant c’est la clé de voûte pour se lancer sereinement affirme la gestionnaire de patrimoine Uma KÜHNI : “La confiance en soi, c'est bien se connaître pour savoir où on met le curseur du risque. On va pouvoir travailler sur ses peurs et avancer : Qu'est-ce que je veux vraiment ? Quel est mon rapport à l'argent ? Comment je vois les choses ?”.
#2 Avoir une vision claire de ses actions
Pour Uma, la clé de la gestion patrimoniale réside dans une vision stratégique : "Une fois qu'on a trouvé du temps et acquis de la confiance, il est essentiel d'établir une feuille de route. Cela implique de déterminer combien on peut épargner et jusqu'où aller dans ses investissements." Pourquoi cette étape est cruciale pour avancer avec assurance ? "Elle définit notre niveau d'engagement et nous guide vers la diversification de notre portefeuille, ce qu'on appelle le timing patrimonial."
#3 Apprendre et se former
Aujourd'hui, de nombreuses ressources de qualité sont disponibles pour démystifier l'éducation financière de manière accessible et vérifiée. On vous recommande Plan Cash, une plateforme éducative féministe fondée par Léa Lejeune et Morgane Dion. Pour ceux qui préfèrent les livres de chevet, on vous conseille 3 lectures sur l’investissement immobilier pour une approche pratique et éclairée.
Les écarts persistants dans le patrimoine entre hommes et femmes aujourd'hui résultent d'un ensemble de facteurs : manque d'éducation financière, inégalités salariales, interruptions de carrière et structures sociales défavorables qui affectent même leur droit à l'héritage. Mais la donne est en train de changer ! Grâce à une prise de conscience croissante et à un accès facilité aux ressources financières, de nouvelles perspectives s'ouvrent pour réduire ces inégalités.