Le blues des néo-ruraux : ils rêvaient de la campagne, ils ont (un peu) déchanté
Sommaire
Retour à l’essentiel, tranquillité, grands espaces, nature… Ils nourrissaient les espoirs les plus fous en quittant leur vie citadine pour s’installer à la campagne. Mais la transition au vert ne s’est pas forcément passée comme prévue : choc des cultures, tensions, isolement… Des aspirations aux déconvenues, quels sont les enjeux auxquels sont confrontés les néo-ruraux ? Comment bien se préparer à cette nouvelle vie et faire en sorte que l’intégration se passe sans accroc ?
L'appel de la forêt : les motivations des néo-ruraux
Néo-ruraux : qui sont-ils ?
Les retraités : motivés par un “retour au pays” dans leur région d’origine ou par un climat plus doux.
Les baby-boomers actifs : dégagés de contraintes familiales et professionnelles (vivant seuls ou en couple sans enfant), ils affichent principalement les mêmes motivations que les retraités.
Les jeunes familles : leur départ est souvent motivé par l’arrivée d’un enfant ou des raisons professionnelles (mutation de poste, recherche d’un emploi plus attractif…).
Les actifs modestes : un éloignement géographique contraint pour accéder à un logement plus abordable.
Les entrepreneurs ruraux : motivés par le choix de délocaliser ou de créer une activité indépendante.
Depuis, le confinement est passé par là, agissant comme un catalyseur dans les réflexions des Français sur leur mode de vie. En 2020, plus de 8 cadres parisiens sur 10 disaient vouloir quitter la capitale, selon une étude menée par le site Cadreemploi.
Une envie d’ailleurs fortement impulsée par le télétravail. Selon une autre enquête de Citrix (une entreprise proposant des outils pour faciliter le travail mobile) menée entre novembre et décembre 2020 auprès de 1000 employés de bureau :
- Un Français sur deux envisagerait de déménager vers une zone rurale s’il avait la possibilité de continuer à travailler de façon flexible.
52 % seraient même prêts à accepter une baisse de salaire en échange d’un poste entièrement réalisable à distance.
Exode urbain : quelles motivations ?
Mais au-delà du contexte économique et social directement relatif au Covid-19, l’appel de la campagne relève également d’aspirations de vie plus profondes. Dans l’inconscient collectif, le monde rural est en effet porteur d’une image de vie plus simple et authentique, loin du stress et de l’agressivité de la vie citadine.
Delphine, originaire de Savoie, a vécu pendant plus de 20 ans à Paris. Elle confirme son désamour pour la vie citadine : “À Paris, on saturait. Trop de bruit, trop de gens, trop de pollution, toujours dans le béton… C’était assez effroyable”.
Les grandes villes n’ont plus autant la cote qu’avant, et pour beaucoup, les inconvénients ont pris le pas sur les avantages. Avant la crise sanitaire, 43 % des employés français estimaient que le fait de vivre dans une grande ville avait un impact positif sur leurs carrières (étude Citrix). Aujourd’hui, ils ne sont plus que 35 %.
Parmi ceux prêts à déménager dans une banlieue ou à la campagne, près des trois quarts estiment qu'une zone rurale offrirait un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée.
Un espoir partagé par Agathe, originaire de Marne-la-Vallée en Seine et Marne, lorsqu’elle a pris la décision de quitter Paris pour le Sud-Ouest avec son conjoint il y a quelques années :
“On vivait à 5 dans un tout petit appartement parisien, c’était vraiment compliqué. On voulait vivre différemment avec nos enfants. Des copains avaient acheté une maison à Saint-Malo. Les grands espaces, la mer… c’était le kiff. Ça nous a vraiment donné envie de partir.”
Vie rurale et vie citadine : le choc des cultures
Préjugés, tensions et conflits
Le rêve d’une vie plus calme, plus qualitative et plus connectée à la nature… mais à quel prix ? On sait ce que l’on perd, jamais ce que l'on gagne. Et les déconvenues peuvent être grandes lors d’un tel changement de vie.
À commencer par l’image d’Epinal de cette région calme et accueillante. En effet, la campagne ne se résume pas à un cliché de vidéos d’ASMR de bruits de la nature, entre ruisseaux et chants d’oiseaux. Elle vit avec ses odeurs et ses bruits familiers : coq, carillon des cloches, odeur de fumier… Un package pas toujours apprécié, certains néo-ruraux n’hésitant pas à signer des pétitions ou à déposer plainte contre ces désagréments.
Sur l’île d’Oléron, des habitants ont ainsi été jusqu’à porter plainte contre un coq (Maurice, de son petit nom), qui chantait selon eux trop tôt. Le tribunal d’instance de la ville de Rochefort a toutefois donné raison à Maurice, le qualifiant «d’être vivant doué [d’une] sensibilité».
Des querelles lunaires qui pourraient prêter à sourire si elles n’impactaient pas la vie des locaux. Or, de nombreux agriculteurs relatent la recrudescence de ce type d’incidents, confirmant la déconnexion des nouveaux habitants vis-à-vis de la réalité rurale.
Loin de se sentir incommodée par les bruits ou odeurs de la campagne, Agathe reconnaît toutefois qu’elle n’avait pas imaginé tout ce que cette nouvelle vie allait entraîner en s’installant dans une petite commune de 1000 habitants :
“Je me suis laissée charmer par la campagne mais sans en connaître quoi que ce soit. Lorsqu’on a déménagé et que l’hiver est arrivé, j’ai pris une claque. Le froid, le vent, loin de mes amis, de ma famille… C’était dur. Tous mes repères ont sauté d’un coup.”
Dans le Gard, un maire a préféré prévenir que guérir en informant les nouveaux arrivants avec une pancarte à l’entrée du bourg : “Ici nous avons des clochers qui sonnent régulièrement, des coqs qui chantent très tôt, des agriculteurs qui travaillent pour vous donner à manger. Si vous ne supportez pas ça, vous n’êtes pas au bon endroit. Sinon, nous avons de bons produits du terroir”. Le ton est donné.
Comme dans l’émission de M6, “L’amour est dans le pré”, ce sont deux mondes totalement différents qui se rencontrent. Sauf qu’ici, l'amour n’est pas toujours au rendez-vous… Delphine témoigne de ce choc des cultures lorsqu’elle et sa famille se sont installées à Villegouge, petit village du Sud-Ouest de 1 200 habitants :
“À notre arrivée, on nous appelait “les fous de Parisiens”, car on avait acheté une maison qui manquait de s’écrouler. Je me faisais aussi souvent klaxonner au début. J’ai rapidement fait changer ma plaque d’immatriculation”.
L’enjeu de l’intégration : entre isolement et solitude
Au-delà de l'acclimatation au mode de vie rural, il y a aussi la question de l’intégration à la communauté locale. Un isolement géographique que Agathe n’avait pas forcément pris en compte avant de s’installer dans sa nouvelle vie :
“En tant que freelance, je travaille seule depuis chez moi. Je me suis donc sentie très isolée au début. Et en même temps, j’avais l’impression d’être observée en permanence. À la campagne, tu es sous le regard de tout le monde. Tu n’as pas le côté anonyme de Paris. Ici, tout le monde sait ce que tu fais, ça a créé une forme de paranoïa.“
Les petits cafés en bas de chez soi, les afterworks avec les collègues, les brunchs les week-ends avec les copains… C’est tout un fonctionnement et des habitudes dont il faut être prêt à faire le deuil en zone rurale. Agathe va même jusqu’à parler de “remaniement identitaire et social” :
“Changer de vie, ça implique forcément des changements internes. C’est un vrai déracinement. Si on est de nature angoissée, ça peut réactiver des peurs. Ce fut mon cas. Un déménagement, c’est clairement un remaniement identitaire”.
Pour faciliter son installation à la campagne, Delphine a elle joué la carte de l’infiltration :
“J’ai vite rejoint l’équipe municipale, ce fut un facteur d’intégration assez extraordinaire. Quand on réalise des projets pour le village, on rencontre tout le monde. Aujourd’hui je suis préposée aux problèmes de voisinage : les chiens qui aboient, les gens qui garent leurs voitures n’importe où… je gère tout ça ! C’est pas mal pour rencontrer les gens (rires)”.
Néo-ruraux : comment vivre au mieux son intégration ?
Se renseigner
Passer d’une grande ville à un petit village de 1 000 âmes entraîne forcément des changements dans ses habitudes de vie. Cela semble évident, mais pour prendre conscience de la mesure du changement, plusieurs repérages à différentes périodes de l’année sont fortement recommandés. Delphine confirme :
“L’année précédant notre déménagement, on a fait plusieurs séjours découvertes dans toute la France. Jusqu’à s’arrêter sur le Sud-Ouest, région pour laquelle on a eu un coup de cœur. On voulait être sûr de notre choix.”
Et même lorsqu’on limite l’imprévu, le risque zéro n’existe pas. Un déménagement, quel qu’il soit, est toujours un petit bouleversement. D’autant plus lorsqu’on brise ses repères principaux, à savoir un changement de région, de type de logement, de superficie…
“Quand on passe de 110 m2 à 300 m2, c’est folklo ! On n’a aucun meuble ! On a été chez Emmaüs et faire les vide greniers. Il y avait de l'écho dans la maison !”
S’adapter aux us et coutumes
Comme en voyage à l’autre bout du monde, un temps d’adaptation est souvent nécessaire pour cerner les us et coutumes des habitants. Au Sri Lanka ou au fin fond des Ardennes, même combat, restez ouvert d’esprit et respectueux du mode de vie local.
Ne pestez pas en découvrant que le supermarché est fermé le dimanche ou que le caviste du coin ne vend pas de vin nature en bio-dynamie… Vous risquez, au mieux, d’être moqué, au pire, d’être relégué au rang de citadin snob.
“Nous avons appris qu’un salon de thé de luxe allait ouvrir sur la place du village. On n’a pas vraiment compris à qui cela allait s’adresser à part aux Parisiens expatriés… C’est dommage de ne pas chercher à s’intégrer à la vie locale.”
Ce phénomène de gentrification s’observe un peu partout dans les zones rurales prises d'assaut par les citadins. Dans certains cas, il agit positivement en recréant du lien et en re-dynamisant économiquement des zones délaissées (via l’ouverture de commerces, la création d’associations…). Mais dans d’autres cas, cela peut aussi bousculer toute la composition sociologique de la commune et agir sur l'échiquier politique local.
Se créer une nouvelle identité
Passer de citadin à rural, c’est finalement accepter aussi d’abandonner une partie de soi. Cela demande du temps pour se découvrir une nouvelle identité et l’apprivoiser, comme Agathe le fait remarquer :
“J’ai vraiment eu un gros passage à vide et même encore maintenant, après 3 ans, je ne suis pas tout à fait sur mes bases. Toute ma vie s’est faite à Paris, il fallait donc tout reconstruire. Aujourd’hui ça va beaucoup mieux car je commence à connaître les gens du village, je sens que je suis aussi quelqu’un pour les autres. Ils me connaissent, je suis Agathe, la journaliste, j’ai une nouvelle identité sur le dos, je me sens moins déstructurée.”
1 - Appréhender le processus sur un temps long
L’effet boomerang peut arriver quelques mois après le déménagement et même si l’on se sent bien au début, ce n’est pas forcément gagné…
2 - Ne pas oublier les questions pratiques
On peut avoir un coup de coeur pour une maison, mais attention, il faut aussi penser au quotidien. Notre maison n’est pas du tout pratique, elle est atypique, c’est un peu galère. C’est important de questionner ses besoins pour ne pas laisser le charme du premier abord prendre le dessus.
3 - Se laisser le temps de créer des liens
Quand on déménage, on ne se refait pas toujours de nouvelles connaissances immédiatement. Les gens ont leur propre tempo, ils ne nous attendent pas. Cela prend du temps de construire des liens de confiance avec les gens.
4 - Ne pas se disperser
Au début, on veut tout faire : la déco, les meubles, les travaux… Mais il faut apprendre à connaître la maison, l’environnement. Tout ne se fait pas d’un coup, il faut prendre le temps de vivre dans sa maison pour savoir comment on veut l’aménager.
5 - Se garder des petits plaisirs
Dépenser tout son argent dès l’emménagement, c‘est un peu triste. Quand on fait tout, trop rapidement, il n’y a plus de plaisir après. C’est bien de se garder quelques projets sur la durée.
Un changement qui peut néanmoins se passer sans accrocs, comme pour Delphine qui ne regrette rien depuis son emménagement en 2019 :
“C’est la maison de nos rêves. On a planté un pin parasol au moment de notre arrivée, on veut se faire enterrer dessous. On ne veut pas partir. Si on peut, on ne partira jamais !”