Bunker : la nouvelle lubie des stars (ils s’en construisent tous)
Le bunker, la nouvelle pièce indispensable après le dressing XXL ? Tandis que les stars et les grandes fortunes de ce monde se construisent des bunkers de luxe, on s’est demandé : s'agit-il d'une préparation rationnelle à un événement cataclysmique ou d'une simple lubie de riches ? On a enquêté pour vous.
Bunkermania
Ces riches qui se préparent au pire
En décembre 2023, la nouvelle a fait le tour des médias du monde entier : Mark Zuckerberg, le cofondateur de Facebook, a entrepris la construction d'un bunker sur une île de l'archipel d'Hawaï.
Mais ce n’est pas tout. Son complexe, surnommé « Koolau Ranch » est tout simplement hors normes. Il comprend 30 chambres avec leurs salles de bains, une salle de sport, plusieurs piscines, un bain à remous, un sauna et un court de tennis. Le tout s'étend sur une douzaine de bâtiments dont deux manoirs couvrant près de 5 300 m². On est bien loin des abris de fortune de la série "The Last of Us".
Et tout ça, ça coûte combien ? Près de 250 millions d’euros, selon les calculs du média Wired qui a consulté des documents censés rester secrets. Eh oui, Zuckerberg a fait signer des accords de confidentialité à toutes les personnes impliquées de près ou de loin dans la construction de ce complexe pour garder son projet secret. C’est raté !
Et si vous croyez qu'il s'agit simplement d'un caprice de milliardaire, détrompez-vous. Reid Hoffman, fondateur de LinkedIn, a confié au New Yorker que “plus de 50 % des milliardaires de la Silicon Valley ont acquis une ‘assurance apocalypse’”, en bref, un bunker en Nouvelle-Zélande. Pourquoi la Nouvelle-Zélande ? Parce que le pays est connu pour sa résilience face aux changements climatiques.
Mais ce n’est pas tout. Les plus fortunés, comme Oprah Winfrey, Bill Gates et Sylvester Stallone, achètent des milliers d’hectares de terres dans les régions les moins touchées par le réchauffement climatique, telles que la Nouvelle-Zélande, l’Argentine ou le Kamchatka en Russie. Avec bunker ? Très probablement !
Mais pourquoi un tel engouement ? Savent-ils quelque chose que nous ignorons ? Plusieurs explications éclairent ce phénomène. D’abord, il faut savoir que les fantasmes apocalyptiques sont profondément enracinés dans la culture américaine, alors les habitants, riches ou pas, se préparent au pire, explique l’anthropologue Chad Huddleston de l’Université du Sud de l’Illinois, cité par ABC : “Les grandes menaces auxquelles nous pourrions être confrontés sont l'effondrement environnemental, les troubles sociaux, une explosion nucléaire, une tempête solaire, un virus imparable ou un piratage informatique malveillant qui détruit tout”.
Pourquoi ? La raison est simple pour l'anthropologue : “Ils veulent maintenir leur niveau de vie, même si le monde extérieur brûle. Ceux qui peuvent se le permettre pensent qu’au moins eux et leur famille sortiront indemnes de leur bunker après un tel événement”.
En bref, la logique de ces personnalités est simple, résume Douglas Rushkoff, auteur de "Survival of the Richest" publié en 2022 : “Leur état d’esprit, c’est : ‘De combien d’argent et de technologie ai-je besoin pour échapper à la réalité que je crée ?’”
D’ailleurs, une partie de ces bunkers-villas a été construite par la société Terra Vivos, fondée par l’entrepreneur Robert Vicino qui s’est fait connaître avec un bunker anti-atomique de luxe inauguré le 21 décembre 2012… date supposée de l’apocalypse selon le calendrier Maya.
Quand monsieur et madame tout le monde s’y mettent
Dans cette folie des bunkers, les milliardaires ne sont pas les seuls à se tourner vers les abris anti-atomiques. Les particuliers aussi s’en montrent friands, notamment les survivalistes qui se préparent à un avenir apocalyptique. Mais il y a aussi ceux que les récents événements, comme la crise du Covid-19 et la guerre en Ukraine, ont inquiétés.
Florence Sanner, créatrice d'abris atomiques, a confié au micro du Parisien lors de la Survival Expo 2022 – une exposition dédiée à la survie et à l'autonomie – qu'il y a eu un véritable boom depuis le début de la guerre en Ukraine : “Tout récemment avec le conflit en Ukraine, on a été très sollicité. On est débordé d’appels et de gens qui sont prêts à investir dans un refuge”.
Pour l’espace, on est bien loin des manoirs souterrains de Mark Zuckerberg. Ici, les abris mesurent entre 15 et 30 m², construits à partir de conteneurs maritimes aménagés, entourés de béton armé et enfouis jusqu’à 4 mètres sous terre. Afin de garantir une autonomie totale, l’entreprise propose des solutions comme des panneaux solaires, des groupes électrogènes et des éoliennes. Pour l’eau, des systèmes de récupération de pluie sont également installés.
L'idée semble séduire. Benoît, participant au salon, confie au Parisien : “Je pense fortement à me protéger un peu plus. D’où le fait que de mon passage ici (au salon) pour me renseigner. On anticipe, on s’adapte, on protège sa famille”.
Quant au prix ? Comptez 50 000 € pour le modèle de base et jusqu’à 100 000 € pour les versions les plus sophistiquées. Pour ceux qui ne peuvent pas débourser de telles sommes, de nombreux tutoriels existent sur YouTube pour construire soi-même un bunker à moindre coût. Le Youtubeur Alex Wild Life, par exemple, a publié une vidéo intitulée « Comment construire une maison secrète pour 2 000 $ », qui a attiré 3,6 millions de vues en 10 mois.
Face au succès de ses bunkers outre-Atlantique, l’entreprise Vivos a décidé de s'attaquer à l’Europe en construisant le bunker le plus sécurisé et luxueux du continent, en Allemagne. Ce complexe, baptisé « Vivos Europa One », est niché dans les montagnes de Rothenstein, commune située au centre-est de l’Allemagne. Avec un coût estimé à plus d'un milliard d'euros, il est conçu pour résister à tout. À commencer par les inondations, tremblements de terre, et même un crash d'avion direct ou des attaques biologiques grâce à son système de recyclage de l'air. Pour garantir un confort optimal à ses habitants, l’entreprise n’a pas lésiné sur les propositions. Le bunker propose une serre autosuffisante ainsi que des équipements haut de gamme : une piscine, une salle de sport, un cinéma, des aquariums tropicaux, une chapelle médiévale, une brasserie et un coffre-fort pour conserver trésors et semences agricoles. Vous rêvez d’y vivre ? Comptez pas moins de 5 millions d'euros pour acquérir un appartement privé dans ce refuge d'exception.
Comment se l’offrir ?
La sécurité, ça n'a pas de prix… mais dans ce cas précis, on parle d'un budget qui pourrait rivaliser avec l'achat d'un 39m² à Mulhouse. Alors pour passer à l’action, vous allez sûrement devoir emprunter, mais la vraie question c’est surtout : vers qui vous tourner pour financer ce projet ?
Pour Quentin Fehlmann, courtier chez Pretto, vous pouvez vous tourner vers une banque classique “Ça devrait être éligible pour un crédit immobilier”. Tout dépend comment il est utilisé. Car après tout, même si il est destiné pour des cas de crise, rien ne dit qu’il ne sera pas utilisé pour d’autres usages.
Quentin ajoute “Si le bunker est destiné à être utilisé comme un espace habitable ou un aménagement qui ajoute de la valeur à la propriété, il est possible que les banques considèrent cela comme une sorte d'extension immobilière.” Vous devrez alors faire des démarches similaires auprès de la banque pour emprunter.
Attention aux démarches administratives ! Si vous envisagez d’acquérir un refuge de moins de 20 m², une simple déclaration préalable de travaux suffira. Qu'il soit enterré, semi-enterré, ou intégré à votre maison, pensez à le déclarer aux impôts dans les 90 jours après la fin des travaux. Si votre bunker dépasse 20 m², un permis de construire devient indispensable.
En bonus, un bunker peut vraiment augmenter la valeur de votre propriété ! Comme une piscine ou un grand jardin, il pourrait devenir un atout précieux au fil du temps. En France, cet ajout pourrait même faire toute la différence, contrairement à la Suisse où cela ne s’applique pas de la même manière...
La Suisse, réseaux d'abris antiatomiques le plus denses au monde
Si vous pensiez que les bunkers étaient uniquement des reliques de la guerre froide ou des bases secrètes, détrompez-vous. La Suisse regorge d'un immense parc d’abris antiatomiques. Mais pourquoi ?
Plongeons dans l’histoire. La Suisse, connue pour sa neutralité, a officialisé sa position dès 1516, avec un traité renouvelé en 1815 lors du Congrès de Vienne, où la neutralité et l'inviolabilité du pays ont été internationalement reconnues.
Mais quel est le lien avec ces bunkers ? Tout remonte à 1963, en pleine guerre froide. À cette époque de tensions extrêmes entre les blocs de l'Est et de l'Ouest, la Suisse, malgré sa neutralité, a ressenti le besoin de se préparer à une éventuelle menace nucléaire. C'est ainsi qu'une loi fédérale a rendu obligatoire la construction d'abris de protection civile pour chaque nouveau bâtiment. Ces abris, protégés par des dalles en béton de 20 centimètres d'épaisseur, offraient aux habitants un refuge en cas d'attaque nucléaire.
La loi fédérale sur la protection de la population et la protection civile (LFAP) stipulait que “Chaque habitant-e doit disposer d’une place protégée dans un abri situé à proximité de son lieu d’habitation et atteignable dans un délai raisonnable” et “tout propriétaire qui construit une maison d’habitation doit réaliser et équiper un abri”, comme le précisent les articles 45 et 46. Mais le 1 janvier 2021 cette loi a été abrogée.
Aujourd'hui, la Suisse est dotée de 360 000 abris antiatomiques, intégrés dans des maisons, hôpitaux et divers autres bâtiments à travers le pays. D'après l’Office fédéral de la protection de la population (OFPP), fin 2022, il y avait environ 9,3 millions de places protégées réparties dans près de 370 000 abris, y compris 9 000 bunkers publics, pour une population de 8,7 millions d’habitants. Bref, une couverture impressionnante de 107 %.
Mais pourquoi aménager des abris dans les bâtiments publics si les propriétaires étaient déjà tenus de construire les leurs ? La réponse est simple : lorsque les propriétaires ne respectaient pas leur obligation, les locataires et eux-mêmes pouvaient se tourner vers des abris publics, à condition de payer une contribution de remplacement.
Cependant, en mai 2023, la Suisse a décidé de réorienter sa stratégie. Les petits abris (jusqu’à sept places) sont progressivement abandonnés au profit de grandes installations publiques. Cette mesure répond à la vétusté des systèmes de ventilation, obsolètes après plus de 40 ans. Environ 100 000 de ces petits abris, avec une capacité totale de 700 000 places, sont concernés, comme l'explique Andreas Bucher de l’OFPP.
Malgré son statut de géant nucléaire en Europe, la France est paradoxalement mal préparée pour la protection civile. Avec seulement 1 000 abris antiatomiques militaires et à peine 300 à 400 installations privées, le pays semble nettement sous-équipé face aux enjeux de sécurité.
Que ce soit pour se préparer à des menaces inconnues ou simplement pour avoir l’esprit tranquille en cas de crise, les bunkers fascinent autant les milliardaires que les personnes au budget plus modeste. Certains vont même jusqu'à prédire que cette tendance pourrait révolutionner notre façon de vivre.