Faut-il être ami avec ses voisins ?
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Bonjour poli, gêne dans l’ascenseur, mot fleuri dans le hall de l’immeuble ou apéro tous les week-ends... Notre quotidien est rythmé de moments plus ou moins cordiaux avec nos voisins. Pour certains, tisser des liens amicaux avec ceux qui partagent le même quartier ou immeuble crée un sentiment communautaire essentiel, tandis que pour d'autres, la simple cohabitation suffit. Alors faut-il devenir ami avec ses voisins pour bien vivre ? Entre intimité et évitement, quelle est la meilleure stratégie à adopter avec son voisinage ?
Nos voisins, ces étrangers qui sont si proches
Vivre en communauté
Que ce soit en habitat individuel ou collectif, en milieu urbain ou rural, la vie en communauté peut devenir un vrai vecteur d’échange, d’entraide et de convivialité. Les Français seraient même plus de 7 sur 10 à s’être déjà lié d’amitié avec l’un de leurs voisins, selon la même étude. C’est le cas d'Elena qui vit dans une maison d’une petite commune proche de Bordeaux avec son conjoint et leurs 3 enfants :
“Nous habitons sur une petite place sans passage, une voie sans issue. Les enfants du voisinage s’y retrouvent pour jouer tous les week-ends. Il y a 9 maisons autour de la place et sur ces 9 maisons, nous nous entendons tous bien. Nous avons même créé de vrais liens d’amitié avec l’une des familles.”
Une amitié qui se révèle d’autant plus importante lors des moments difficiles. Elena en a fait l’expérience lors de fortes intempéries qui ont dévasté certaines habitations de son quartier :
“Nous avons été ravagés par la grêle en 2022. Certains ont eu des fenêtres et des tuiles cassées, un autre a perdu sa maison. Lorsque la grêle s’est arrêtée, nous étions tous dehors jusqu’à 2h du matin, avec des seaux, des bâches, des échelles, petits et grands, pour venir en aide aux plus sinistrés”.
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Manon et son petit ami ont préféré eux prendre les devants et ne pas compter sur le hasard pour se lier d’amitié avec de parfaits inconnus. Ils ont proposé à leurs amis de longue date d’emménager dans le même immeuble qu'eux :
“Nos voisins du dessous sont des amis du collège. On n'aurait pas proposé à tout le monde d'être nos voisins ! On descend en chaussettes chez eux, c'est plutôt inédit comme relation de voisinage. Avec ma voisine-amie, nous sommes toutes les deux freelances, nous travaillons donc souvent à la maison et il arrive qu’on s’envoie un message "pause café ?". On papote 30 minutes et on retourne bosser chez nous. C'est aussi très pratique pour récupérer des colis ou arroser les plantes pendant les vacances.”
Entre individualité et curiosité : le paradoxe du voisinage
Mais cette proximité peut ne pas convenir à tous… Pour plus de 6 Français sur 10, le voisinage serait aussi source de gêne. On connait tous ce voisin qui se précipite chez lui dès qu’il entend le moindre bruit de pas dans le couloir pour éviter d’engager la causette (ce voisin, c’est peut-être vous, d’ailleurs).
Un voisin fantôme qu’on devine uniquement à travers des bruits de pas, de portes qui claquent ou de clés dans la serrure. Ce phénomène d’évitement s’observerait surtout en immeuble, où le côté individualiste des résidents est plus prégnant. Près de 80 % des Français considèrent d’ailleurs qu'un bon voisin est un voisin qu'on ne voit jamais et qu'on n'entend jamais. Ambiance.
Elena, qui vit en maison, ne partage pas du tout ce point de vue :
“Notre quartier est très jovial et un simple bonjour ne suffit pas : nous nous arrêtons toujours lorsque nous nous croisons pour nous raconter les dernières nouvelles.”
En immeuble, cette tendance à l’évitement est aussi intriguante qu’inquiétante : comment peut-on ne jamais se croiser en étant si proches géographiquement ? Comment peut-on savoir autant de choses sur la vie de quelqu’un sans le connaître ?
Mystère insoluble, le voisinage nous amène en effet à collecter des informations plus ou moins utiles sur nos comparses :
Le voisin du 2e a une notion de l’hygiène bien à lui, laissant toujours ses sacs Uber Eats et McDonald's traîner sur le palier.
La voisine du 4e aime papillonner et recevoir de nouveaux rencards chaque vendredi soir.
La dame du rez-de-chaussée est sourde et adore regarder Danse avec les Stars.
Stéphane, 29 ans, admet sa curiosité envers le couple qui vit l’immeuble en face du sien à Paris dans le 15e :
“J’aime les observer par la fenêtre, surprendre des moments de leur quotidien. Je sais qu’ils cuisinent toujours ensemble, qu’ils ne ferment pas les rideaux le soir et que le mari aime fumer sa cigarette le matin sur la terrasse vers 8h”.
L’enfer c’est les autres : quand le voisinage vire au cauchemar
Conflits et de tensions
Heureusement, pas besoin d’avoir un voisin psychopathe comme Joe Goldberg pour que notre quotidien vire au cauchemar ! Il est tout à fait possible de subir son voisinage, même à travers des situations plus anodines.
Tapage nocturne, perceuse le dimanche matin, pleurs de bébé, engueulades (ou réconciliations un peu trop bruyantes contre le mur mitoyen), talons sur le parquet, saleté dans les parties communes… 64 % des Français auraient déjà été incommodés par leurs voisins, le bruit et les incivilités étant la première nuisance citée.
La vie en communauté n’est en effet pas toujours un long fleuve tranquille. Entre celles et ceux qui se croisent furtivement, ceux qui s’invitent à dîner tous les samedi soirs, il y a aussi la team prête à en découdre au moindre bruit suspect ou haie de jardin un peu trop envahissante.
Il n’y a qu’à écouter l’émission radio de Julien Courbet "Ça peut vous arriver" pour avoir un aperçu des pires litiges possibles entre voisins (beaucoup de clôtures mitoyennes en jeu, apparemment). Même combat sur le compte Instagram "Chers voisins", qui condense les mots de voisins et autre prose d'ascenseur. On vous laisse jeter un œil, ça vaut le détour.
Perte de vie privée et d'intimité
Mais le bruit n’est pas la seule nuisance fréquemment citée. Juste derrière, on retrouve l’intrusivité, citée par 53 % des sondés de l’enquête SeLoger.
Et pour cause, lorsqu’on partage une proximité, il est difficile d’échapper aux aléas de la vie de ses voisins : disputes, séparations, parties de jambes en l’air, naissances, maladies… Un partage d’intimité forcé plus présent toutefois en immeuble qu’en maison individuelle.
La philosophe et psychanalyste Hélène L’Heuillet met le doigt sur ce paradoxe selon lequel nos voisins assistent à des moments d’intimité dont nos proches n’ont parfois pas connaissance : "Quand on se dispute avec quelqu’un chez soi, la famille ou les collègues l'ignorent, pas les voisins".
Mais cette intrusion peut également être subie :
un voisin en recherche d’attention qui nous tient la jambe à chaque rencontre ;
un voisin un peu trop présent qui toque chez nous pour un oui ou pour un non et qui colporte des rumeurs sur tout le voisinage
ou dans le pire des cas, un voisin dangereux qui nous menace ou s’immisce dans notre vie privée comme ce cher Joe Goldberg...
Ces rapports entre voisins ne sont pas sans rappeler nos relations familiales. Le psychiatre Patrick Lemoine va même jusqu’à dire que “la relation de voisinage, ce sont des proches que l’on n’a pas choisis."
Comment alors trouver le juste équilibre pour vivre ensemble convenablement, sans tomber dans la haine, l’évitement ou l’intimité excessive ?
Un juste équilibre : savoir-vivre et bienveillance
Bonjour, merci, au revoir
Comme à l’école primaire, revenir aux basiques de la politesse est parfois nécessaire. Certes, vous n’avez pas choisi de vivre en dessous de ce joueur de claquettes, mais cela ne vous empêche pas d’entretenir un minimum de rapports courtois avec lui. Vous aurez davantage à y gagner en lui faisant remarquer poliment que vous l’entendez jouer des claquettes plutôt qu’en allant l’agresser.
D’ailleurs, nous oublions parfois que ce que nous reprochons aux autres peut aussi être l’un de nos comportements. Certes, vous ne jouez pas des claquettes, mais vous mettez peut-être la musique à tue-tête lorsque vous êtes sous la douche le matin, ou bien vous avez la fâcheuse tendance à changer la disposition de votre salon chaque semaine en déplaçant tous vos meubles.
“L’enfer, c’est les autres” écrivait Sartre. Mais c’est aussi nous, ce que l’étude citée plus haut met bien en lumière : “Si les Français reprochent à leurs voisins d’être parfois trop bruyants, ils ont conscience qu’eux-mêmes peuvent aussi être à l’origine de nuisances.”
70 % des sondés adaptent d’ailleurs leur comportement pour éviter d’incommoder leurs voisins. S’adapter et ne pas regarder uniquement son nombril, ne serait-ce pas la clé pour être un bon voisin ?
Entraide & solidarité
Pour Elena, être une bonne voisine tient avant tout dans l’entraide et la solidarité :
"C’est savoir que l’on peut compter sur une aide immédiate quasiment à n’importe quelle heure. Je sais que si j’ai un besoin très urgent ou grave, je peux solliciter 4 maisons sans hésiter. C’est déjà arrivé que l’un de nous appelle les urgences pour un voisin tombé de son toit. Un voisinage aussi harmonieux se remplace difficilement."
80 % des Français interrogés partagent son avis, admettant que c’est sur l’entraide que reposent les relations de voisinage. Plus de 8 Français sur 10 ont notamment déjà rendu service à leurs voisins et plus de la moitié (58 %) pensent qu’ils peuvent leur rendre de menus services.
Rien d’inhabituel pour Elena et sa famille, pour qui la solidarité entre voisins semble couler de source :
“Une de mes voisines a donné des cours de soutien à mon fils, nous gardons les enfants d’un autre couple de voisins, nous empruntons des outils à d’autres, on surveille les maisons quand on part en vacances…
Une vision de la vie en communauté bien éloignée du voisin fantôme qu’on ne croise jamais et qu’on devine uniquement aux bruits derrière la cloison. Ne serait-ce pas là la recette magique pour développer des relations saines entre voisins ? Nous aurions finalement tous à y gagner à faire de cette proximité une force. Car même si nous n’avons pas choisi de vivre ensemble, nous partageons un espace commun. Comment souhaitons-nous le partager au quotidien : en créant du lien ou bien en s’isolant chacun chez soi ?