Comment la banque prend-t-elle en compte les revenus des sportifs pro ?
En cette année sportive marquée par les JO de Paris 2024 et l'Euro, les projecteurs illuminent les performances des athlètes et attirent l’attention du monde entier. Mais derrière la gloire se cache une réalité moins connue, celle de fortes disparités de salaires qui peuvent impacter leur projet de vie. On s’est posé une question : comment ces sportifs professionnels parviennent-ils à devenir propriétaires ?
Profession : sportif professionnel
Un profil pas comme les autres
Si les salaires des footballeurs professionnels ont souvent fait les gros titres en raison de leur montant mirobolant, tous les sportifs ne bénéficient pas des mêmes conditions. Quand un sportif est considéré comme professionnel, c’est qu’il a signé un contrat avec un club ou une équipe qui va déterminer son salaire mensuel et annuel. En France, le Ministère des Sports estime qu'environ 15 032 sportifs de haut niveau étaient inscrits sur ses listes à la fin de l'année 2019.
Ce contrat peut inclure des clauses spécifiques liées aux performances individuelles ou collectives, ainsi qu'à l'image de l'athlète. Et ça, ça dépend de sa visibilité médiatique mais surtout de la popularité de la discipline. Par exemple, le football, apprécié par 72 % des Français selon Stratista, offre des perspectives de carrière lucratives, contrairement à des sports moins médiatisés comme la lutte.
Si on a tendance à penser aux 72 millions d’euros annuels bruts de Kylian MBappé, ou aux 19 287 euros bruts par mois des rugbymen professionnels du Top 14 (selon les chiffres de L’Équipe), tous les athlètes professionnels ne gagnent pas de telles sommes. Selon le Journal du Net, un sportif professionnel gagne entre 526 € bruts et 14 280 € bruts par mois en France. Un sacré grand écart.
Et pour d’autres sportifs, en plus des salaires, s’ajoutent des contrats de sponsoring et des partenariats individuels. Mais ce n’est pas une réalité pour tous les athlètes de haut niveau.
Et les athlètes non-professionnels ?
Tous les sportifs de haut niveau ne sont pas considérés comme professionnels. Les sportifs dits professionnels ont des contrats de travail fixes avec un club ou une fédération sportive. En revanche, d'autres athlètes, sans contrat, participent tout de même à de grandes compétitions internationales comme les championnats du monde ou les JO. Pour eux, l'aspect financier est bien plus compliqué. Une étude a montré que juste avant les Jeux Olympiques de Tokyo en 2021, un sportif français sur dix vivait en dessous du seuil de pauvreté. En 2024, ce seuil en France est fixé à 1 216 euros par mois pour une personne seule.
Mais alors comment ces médaillés gagnent-ils leur vie ? La plupart du temps, ils ont un métier à côté, car s’ils n’ont pas la chance d’avoir des sponsors, ni d’éventuels contrats publicitaires. Quant aux sommes remportées en compétition, elles sont dérisoires. Mais là aussi, cela varie énormément d’une discipline à l’autre. Si certaines disciplines sont connues du public et mises en avant, d’autres sont totalement invisibilisées et ces sportifs de haut niveau non-professionnels se retrouvent dans des situations compliquées.
C’est le cas du lutteur de l'équipe de France Saifedine Alekma. Vice-champion d'Europe en 2021 dans la catégorie des moins de 79 kg et 8e au classement mondial, il racontait à France Info en juillet 2022 ses années difficiles, oscillant entre sa carrière d'athlète et des petits contrats. “Juste avant ma médaille d'argent aux championnats d'Europe, j'étais au chômage. C'était une période très compliquée”. “Des coachings à droite à gauche”, et "un contrat d'avenir avec son club pendant trois ans" lui ont permis de sortir la tête de l’eau, non sans peine.
Cette problématique n’est pas nouvelle. En 2015, une quarantaine de sportifs de haut niveau, dont le perchiste Renaud Lavillenie, l’escrimeuse Astrid Guyart et le biathlète Martin Fourcade, ont signé une tribune pour alerter sur le manque de soutien financier : “Nous vivons pour le sport, mais, pour la plupart, le sport ne nous fait pas vivre”.
Cette même année, un statut officiel de “sportif de haut niveau” a été créé pour lutter contre cette précarité, avec une loi renforçant leur statut et incluant une couverture en cas d’accident sportif.
Près de 10 ans plus tard, l’Agence nationale du sport (ANS) - en charge de l’accompagnement des athlètes - s’est engagée à ce qu’aucun des plus de huit cents athlètes de la délégation française aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 ne soit sous le seuil de pauvreté, assure Maguy Nestoret Ontanon, conseillère à la cellule socioprofessionnelle de l’ANS. Aux Jeux de Rio en 2016, ils étaient 40 %.
Environ 50 à 70 % des athlètes participant aux JO ne sont pas des professionnels. Pour aider ces sportifs en vue des Jeux de Paris 2024, l'Agence nationale du sport (ANS) a pris les devants dès 2019, prenant en charge l'accompagnement financier autrefois géré par le ministère des Sports. Grâce à plusieurs dispositifs, dont des aides personnalisées et des conventions d'insertion professionnelle (CIP), l'ANS offre des solutions concrètes pour les athlètes en difficulté financière.
Alors, en quoi consistent ces dispositifs ? Ils permettent aux sportifs de toucher l'équivalent d'un SMIC, assurant ainsi une certaine stabilité. Pour préparer les athlètes français aux Jeux de Paris 2024, le budget dédié à la haute performance a même augmenté de 10 % entre 2021 et 2022, selon l'ANS.
Comment ça se passe avec les banques ?
Quand certains sportifs n'ont pas à se soucier du financement pour acheter un bien, la plupart doivent se tourner vers la banque pour demander un crédit. Et là, les choses sont bien différentes par rapport aux profils plus classiques. Même avec un contrat de club, ce n'est pas pareil qu'un CDI. Les carrières des sportifs professionnels sont plus courtes, leurs revenus peuvent fluctuer, et les garanties ne sont pas les mêmes que pour Monsieur et Madame Tout-le-Monde.
Pour les sportifs professionnels, l’histoire est tout autre et les calculs sont bien plus spécifiques. Pour évaluer leurs ressources, les banques se basent sur les revenus fixes annuels. Mehdi, courtier chez Pretto, a récemment aidé un footballeur professionnel à obtenir un prêt pour son premier appartement. Pour Mehdi, le plus grand défi était “son statut de non résident et son statut professionnel : dans certains pays, les joueurs de foot sont auto-entrepreneurs. Cela rend les choses compliquées car il a signé le contrat avec le club il y a seulement 3 mois et qu’il n’a aucune ancienneté”. Le courtier nous explique que d’autres critères peuvent entrer en jeu par rapport à un profil classique, “si les revenus et la capacité à placer de l’argent sont importantes”.
Et quand il s'agit de revenus, les contrats de sponsoring ne sont pas pris en compte dans l’évaluation financière, sauf s'ils sont utilisés comme un apport. C'est ce qu'a fait Audrey, ex-championne du monde d’escrime : “J'ai acheté un appart pendant ma carrière sportive. L'apport avait été constitué avec mes primes de matchs (et celles de mon conjoint qui était rugbyman).” Heureusement pour Audrey et son conjoint, leur apport représentait plus de la moitié du montant du bien qu’ils convoitaient.
Pour autant, trouver une banque disposée à les financer n’a pas été une mince affaire : “Ça n'a pas été super simple à trouver, je ne connaissais pas l'existence des courtiers à l'époque, du coup on a fait le tour des banques tout seuls.” raconte Audrey.
Elle bénéficiait d’un contrat d'insertion professionnelle (CIP), qui permet aux sportifs de travailler tout en étant détachés pour l'entraînement et les compétitions : “J'étais donc salariée temps plein et j'étais détaché 50 % de mon temps pour le sports (en période de prépa de JO, j'étais 80 % détachée)”
Pour constituer son apport, Audrey a pu compter sur ses primes, bien que cela dépende de la richesse de la fédération : “Plus il y a de licenciés, plus la fédération est "riche" et peut avoir une politique de reversions aux haut niveau. À titre indicatif, pour la fédération française d'escrime : c'est 15 000 € quand on est champion du monde”. À noter que les championnats du monde et d’Europe n'ont pas lieu chaque année et peuvent se dérouler à des intervalles irréguliers.
Si tous les sportifs de haut niveau ne sont pas logés à la même enseigne, pour certains, faire une demande de crédit est plus compliqué que pour d'autres. Mais les récentes initiatives de l'ANS permettent de donner plus de souffle à celles et ceux qui ramènent des coupes à la maison. Pour surmonter ces obstacles financiers, se faire aider par un professionnel du crédit ou apprendre à bien épargner peut être un atout majeur pour les athlètes. À l’aube des Jeux Olympiques de Paris 2024, il ne nous reste donc plus qu’à les soutenir.