Irlande : pourquoi deux tiers des moins de 30 ans vivent encore chez leurs parents ?
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Ils approchent la trentaine et “squattent” encore le domicile familial. Une situation loin d’être anecdotique en Irlande, où les deux tiers des jeunes actifs sont concernés. La faute à une crise du logement dont peine à sortir le pays. Focus sur la vie de ces Irlandais qui, à bientôt 30 ans, vivent encore chez leurs parents.
Affectueusement, on les surnomme "Tanguy", ceux qui, à 25 ans passés, vivent encore chez leurs parents. Si le terme prête à sourire en imaginant ces "jeunes vieux" avachis sur le canapé familial à l’instar du personnage principal du film d'Etienne Chatiliez sorti en 2001, transposé à la réalité, il s'avère moins drôle. Surtout en Irlande.
Une crise du logement en cours partout en Europe
En France, mais aussi en Suède, en Allemagne, en Italie, au Portugal ou en Irlande, les effets de cette crise se font ressentir. Les raisons qui ont fait émerger peu à peu cette crise du logement sont multiples mais d’un pays à l’autre, ce sont peu ou prou les mêmes.
Le troisième responsable de ce bouleversement tient à l’évolution de la société. Les étudiants entrent dans la vie active plus tardivement, tandis que le nombre de couples qui se séparent et de familles monoparentales s’accroît, et les personnes âgées vivent de plus en plus longtemps. Cela crée un besoin de logements plus important, auquel s’ajoutent des demandes d’habitations spécifiques - logements sociaux, pour seniors, surfaces plus petites, etc. - face auxquelles l’offre n'arrive pas toujours à suivre.
Logement : que se passe-t-il en Irlande ?
Si le logement est un vrai sujet de société en France, en Irlande, il est devenu un réel problème. Les jeunes Irlandais font face à de grandes difficultés pour se loger.
La crise économique de 2008 a ainsi violemment touché le pays, suivie de la crise sanitaire du Covid, qui a fortement impacté l’emploi en Irlande. La demande de logements y est aussi plus élevée par rapport à l’offre. En 2021, il manquait ainsi 250 000 logements (source : France 24).
Ces dernières décennies, l'immobilier a flambé, tout comme les loyers. Certains parlent même d’une augmentation de 200 % depuis les années 2000. Et si les salaires ont parfois augmenté, la majorité d’entre eux a subi une stagnation, rendant la possibilité de se loger bien plus ardue.
Une crise qui fragilise une partie de la population irlandaise. Hausse du nombre de personnes sans abri et du recours à un logement d'urgence, dégradation de la santé mentale des habitants, notamment des jeunes adultes, avec une augmentation des dépressions et de l'anxiété. Sans oublier l'impact sur l'économie du pays et la croissance. Certains Irlandais disposent d'un emploi mais pas d'un logement, et se retrouvent contraints de déménager plus loin voire de changer de travail. Un phénomène entraînant une pénurie des talents et une diminution de l’activité économique.
Des jeunes principalement impactés ?
Parce qu’ils débutent dans la vie active et qu’ils n’ont pas eu le temps d’épargner, les jeunes Irlandais sont en première ligne, et font face à une situation que leurs parents n’ont pas vécue.
S’ajoute à cela une particularité qui n’existe pas en France : peu de logements permettent d’accueillir une personne seule ou simplement un couple en Irlande. La majorité des appartements ou maisons possèdent en effet a minima deux chambres. Par conséquent, le prix d’une telle surface devient rapidement onéreux pour de jeunes actifs, même s’ils occupent un poste avec un salaire décent.
Qu’en disent les habitants ?
Caroline est Française et vit à Dublin depuis 8 ans. Son époux, Philip, est Irlandais. Ils se sont connus à Toulouse. En quittant la capitale occitane pour celle de l’île d’Émeraude en 2016, leur loyer est quasiment passé du simple au double. "Je me rappelle que ça nous avait fait un choc.", explique Caroline. "On payait 700 € pour un T2 d’une cinquantaine de mètres carrés dans le centre de Toulouse et on posait nos valises dans un 52 mètres carrés à Dublin pour 1 300 €. Aujourd’hui, dans ce secteur, le loyer de cet appartement atteint facilement 1 900 à 2 000 €." Et pourtant, avec un peu de recul, ils reconnaissent avoir eu "de la chance".
Le couple sait la situation critique dans laquelle se trouve le secteur du logement. Des exemples, ils peuvent en donner plusieurs. "En 2020, nous avons hébergé une amie de la famille le temps qu’elle trouve un logement à Dublin. Avant de partir de France, elle avait déjà signé pour un emploi. Elle est restée 15 jours chez nous, puis a fini par trouver une chambre chez un couple dans un quartier pas des plus sécurisés de la ville pour une femme seule, et payait aux alentours de 900 €/mois. Elle ne s’y plaisait pas, et puis elle a fait une colocation avec un couple d’amis qui payait 2 000 € pour un T3, et que cela arrangeait de partager les frais."
Et puis, Caroline et Philip évoquent trois exemples quasi-identiques, trois couples d’amis, la petite trentaine, qui n’ont pas pu acheter face au prix élevé du marché. À chaque fois, les parents de l’un des deux avaient investi plusieurs années auparavant dans la pierre. Chacun d'eux a loué (et loue parfois encore) un logement à leurs proches, à un loyer inférieur à ceux du marché. Une situation provisoire qui se prolonge parfois, en attendant qu'ils puissent éventuellement acheter.
Pour trois semaines, la location de la chambre est proposée à 1 150 €, charges, wifi et… draps inclus. Pour le prix, on se dit que le logement est situé au centre ville de la capitale irlandaise. Absolument pas ! Trente minutes sont nécessaires pour s'y rendre.
Et puis, il y a cette jeune collègue qui avait trouvé une chambre pour environ 1 000 € par mois à Dublin. "Ses parents habitent à environ 80 kilomètres de Dublin, c’était plus simple pour elle d’habiter à proximité de son lieu de travail. Finalement, ça ne s’est pas bien passé avec sa logeuse et elle n’a pas retrouvé de logement. Elle a dû retourner vivre chez ses parents…", relate Caroline.
Avec un sourire mi-(faussement) amusé, mi-attristé, elle finit par nous avouer : "Quand j’entends quelqu’un nous dire qu’il souhaite venir vivre à Dublin, je le dissuade. Oui, il n’aura pas de difficultés à trouver un emploi, Dublin reste une ville très attractive dans laquelle de grands groupes mondiaux s’implantent et offrent des possibilités de carrières plutôt intéressantes. Mais quand il s’agit de se loger, ce n’est pas la même histoire. Il faut être réaliste, trouver un logement, c’est vraiment dur !"